Quelle place pour les huissiers de justice dans le Web 3 et le métavers ?

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Besoin de faire appel à un professionnel du droit ?

Nouveau portrait de notre série dédiée aux Femmes et aux Hommes qui se sont engagés en tant que commissaire de justice (ex-huissier de justice).

Pas une semaine ne passe sans que l’on entende les termes “Web 3”, “blockchain”, “métavers”. Nous nous sommes donc posés la question de l’évolution de la profession des commissaires de justice dans ce futur (très) proche.

Cet article n’a pas vocation à promouvoir une étude en particulier, mais à mettre en lumière ces personnes qui se passionnent pour de nombreux sujets, au-delà de leur cœur de métier. 

Nous avons la chance aujourd’hui d’échanger avec un commissaire de justice, nommé depuis 2010. Après s’être intéressé à la blockchain pour son activité en 2019, il a été sollicité par un projet européen (Logion), afin de réfléchir à la sécurisation des transactions grâce à la blockchain. Il prend le temps aujourd’hui de vulgariser avec nous le sujet du Web 3 et des enjeux qu’il pourrait représenter pour la profession des huissiers de justice.

 

Web 1, 2, 3 : de quoi parle-t-on ?

Avant d’aborder les enjeux liés à ces nouvelles technologies, il est important de comprendre le sujet.

Si l’on peut résumer le Web 1 à l’internet de l’information brute, le Web 2, dans lequel nous sommes actuellement, a permis de faire émerger ce qu’on appelle également le web social, celui des interactions entre les utilisateurs, avec les réseaux sociaux notamment.

Le Web 3 se définit comme l’internet des transactions et des paiements en ligne par chaîne de blocs (blockchain), un internet décentralisé qui permette de sécuriser un historique (objet de la transaction, identité des parties, etc.). La blockchain permet donc d’apporter un certificat avec une empreinte numérique à une transaction.

Les empreintes numériques Blockchain ont aujourd’hui le statut de « commencement de preuve par écrit » auprès des tribunaux français, ce qui est une évolution très positive.

 

“La sécurité juridique, on la confère à nos actes et c’est une sécurité technique que l’on apporte en complément, en utilisant la blockchain.”

 

L’utilisation de la blockchain est encore peu développée aujourd’hui dans la profession des commissaires de justice. Beaucoup y pensent, mais peu la mettent en place dans leur étude, car cela peut vite devenir coûteux.

Mais pour notre portrait du mois, la sécurisation des transactions par la blockchain deviendra un passage obligé. “Pour moi, on utilisera tous la blockchain sans même s’en rendre compte.”

Au-delà de l’enjeu de vulgarisation et d’appropriation au sein de la profession, il y a également un gros travail de pédagogie à mener auprès des justiciables, qui restent les clients des huissiers de justice. Même s’il utilise la blockchain de façon encore ponctuelle aujourd’hui dans son étude, il explique à ses clients l’importance de ce fonctionnement afin de leur faire comprendre l’enjeu de sécurité technique et juridique.

 

Une technologie déjà appliquée dans d’autres secteurs

Certains ont compris très tôt l’intérêt de sécurisation des données via la blockchain, notamment en utilisant la procédure que l’on appelle “KYC” pour Know your client, qui consiste à vérifier l’identité et l’intégrité de ses clients. Ce processus a pour objectif de prévenir la fraude, le blanchiment ou la corruption par exemple.

Certains secteurs, où l’importance de la propriété intellectuelle est primordiale, ont donc compris l’intérêt de la blockchain pour consolider leur process.

Le milieu artistique s’en est emparé pour l’acquisition d’œuvres d’art. “Ça démarre plus dans l’art, notamment grâce au marché des NFTs, et ça suivra certainement ensuite dans le monde des affaires” selon le concerné.

Vous avez sans doute déjà entendu parler des NFT, ces “jetons non fongibles”, qui rendent un objet, une œuvre d’art ou un morceau de musique unique, qui n'est pas interchangeable, à l'inverse d'une monnaie fiduciaire ou d'une cryptomonnaie.

Le commissaire de justice nous rappelle l’exemple d’une vente d’un soi-disant NFT de Banksy, il y a 3 ans, pour environ 300 000 dollars. Un investisseur a cru acheter le premier NFT du street artiste. Problème, l’artiste a démenti dans la foulée avoir créé ce NFT. L’œuvre était réelle, mais le NFT qui a été créé sur celle-ci était un faux, non validé par l’artiste. Heureusement, tout s’est bien terminé puisque l’arnaqueur a reversé les fonds à l’acheteur.

 

Comment sécuriser les transactions dans le Web 3 ?

Nous l’avons vu précédemment, la blockchain permettra, de façon totalement transparente pour les parties prenantes, de sécuriser tout type de transactions. Peut-être achèterez-vous votre prochain logement ou votre voiture en utilisant cette technologie ?

Intéressé et ayant communiqué sur le sujet de la blockchain, notre portrait a été approché par un projet européen : Logion.

Ce projet est né de la communauté web qui a ressenti le besoin de sécuriser le Web 3 et les transactions qui vont s’y faire. Elle s’est donc tournée vers des garants judiciaires des différents pays européens, dont des commissaires de justice.

Le principe du projet est simple : créer une blockchain publique, qui passe par un protocole permettant de :

  • de mettre en relais différentes blockchains (privées ou publiques)
  • de protéger ses actifs numériques grâce à un système décentralisé dont les garants sont des officiers ministériels européens

Chaque information qui entre donc dans une blockchain est validée par les « nœuds » de la communauté.

La particularité de Logion réside dans le fait que chaque nœud est un officier ministériel, européen, identifié et reconnu, et non plus un anonyme sans adresse connue. L’officier intervient pour valider l’information, l’identité du déposant et son lien avec ce qu’il dépose, identité des œuvres et des acquéreurs par exemple.

 

Les commissaires de justice dans le Web 3

Maintenant que vous êtes un.e pro de la blockchain et du Web 3, allons plus loin pour comprendre la plus-value de cette innovation pour les commissaires de justice.

S’il n’y a qu’une chose à retenir, c’est que cette nouvelle technologie permet de certifier et amener de la rigueur juridique sur chaque transaction effectuée par un huissier de justice.

Cas d’usage : des avocats envoient des contrats à valider sur la blockchain avec implication des différentes parties. Une fois que le contrat est sur la blockchain, elle possède une identité numérique. Même 10 ans plus tard, on peut certifier qu’il s’agit bien du contrat d’origine qui n’a subi aucune modification.

 

💡 À noter : “Sur la blockchain, si vous avez un accent qui change dans un document de 2000 pages, l’identité sera différente.”

 

Une prise de conscience nécessaire

Même si aujourd’hui, la profession ne semble pas vraiment prête à intégrer ces nouvelles technologies, de nouvelles générations de commissaires de justice arrivent et développent de nouvelles choses avec celles-ci.

Avouons-le, nous restons sur un sujet que n’est pas encore connu et maîtrisé du grand public.

On peut cependant affirmer que les commissaires de justice devront avoir leur propre vision sur ces technologies afin de se mettre en ordre de marche.

Le métier devra se pencher sur le sujet, si ce dernier rentre dans la vie économique de tous les Français.

La mise en œuvre ne sera pas compliquée, mais il faudra en comprendre l’intérêt pour une étude. “Quand on voit que ça ne fait qu’une dizaine d’années qu’on a des smartphones et qu’on les a aujourd’hui totalement intégrés dans nos vies personnelle et professionnelle, la blockchain pourrait aller aussi loin, voire plus.”

 

Peu d’impact sur le coût d’accompagnement

Nous l’avons évoqué au début de cet article, investir dans la blockchain pour sécuriser le traitement de ses dossiers peut représenter un investissement, notamment financier, important.

Sur les prestations libres, sur lesquelles les tarifs ne sont pas réglementés, il pourrait y avoir une répercussion du coût d’investissement.

Mais de manière générale, les enregistrements sur la blockchain se font aujourd’hui à des coûts relativement faibles (1 à 3$). Il faut savoir que le coût est défini en fonction de la disponibilité des serveurs par exemple. Mais le coût d’usage reste relativement faible, ce qui permettra de garder un prix attractif sans surcoût pour les justiciables par rapport aux constats réalisés aujourd’hui.

 

Un revers à la médaille ?

Il semble difficile d’identifier des limites puisque nous ne sommes qu’au début du Web 3 et de l’utilisation de la blockchain.

Néanmoins, il faudra rester vigilants sur la technologie en elle-même. Il faudra qu’il reste des gens derrière. On parle beaucoup d’intelligence artificielle (IA) depuis quelques mois. “L’IA c’est super, ça va servir dans beaucoup de domaines, notamment le médical. Mais ça ne fonctionnera que s’il y a des hommes derrière. Tout ne sera pas déshumanisé, car il faudra apporter de la confiance aux gens pour que cela fonctionne.”

 

Et le métavers dans tout ça ?

Tout d’abord recontextualisons. Le métavers représente une version évoluée d’internet où l’on naviguera entre monde réel et monde virtuel. On pourra interagir avec des avatars, en 3D, dans des mondes connectés à internet qui pourront être perçus grâce à la réalité augmentée. Autrement dit, ce sera l’évolution des Sims, le célèbre jeu de simulation. ;)

Alors oui, on peut imaginer que les commissaires de justice, demain, interviennent dans le métavers, comme dans le monde réel aujourd’hui.

Peut-être qu’un jour, on créera une étude dans le métavers ! Selon lui, “on pourrait imaginer faire de la médiation sur des litiges économiques apparus dans ce monde virtuel”.

Mais avant de faire des constats dans le métavers, il faudra donner une règle juridique au métavers. Cela passera sans doute par de la jurisprudence, mais pour le moment le concept reste trop récent et sans recul pour prédire le futur.

Une chose est sûre : si le phénomène prend de l’ampleur et en vient à occuper une place prépondérante dans l’économie, les commissaires de justice devront se saisir de ces sujets.

 

Un grand merci au commissaire de justice concerné pour le partage de son expérience sur les sujets liés au Web 3.0.

 

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